Spiruline bio : résumé du contexte actuel en France
Emmanuel Rousseau, producteur de spiruline
adhérent de la Fédération des Spiruliniers de France et de Spiruline et Progrès

Quelques éléments importants de compréhension

La spiruline se nourrit de minéraux, sous des formes très simples : carbonates, phosphates, azote, potassium, calcium, magnésium, fer … Tous ces minéraux peuvent assez facilement provenir directement de la nature, donc répondre aux exigences d’un cahier des charges de production biologique, sauf un : l’azote. Actuellement, nous utilisons de l’urée, une azote de synthèse.

Depuis une dizaine d’années, des producteurs, en partie réunis au sein de la Fédération des Spiruliniers de France (FSF), travaillent à la recherche de sources organiques d’azote et les expérimentent. Aujourd’hui, plusieurs solutions alternatives aux engrais de synthèse semblent pouvoir être mises en place sur nos fermes. Il reste à confirmer à grande échelle que les résultats de productivité, la longévité des cultures et la qualité de la spiruline ainsi produite sont similaires à ce que nous faisons aujourd’hui.

Sources d’azote possibles pour une production de spiruline bio :

Cahier des charges bio européen « algues marines »

La spiruline a été récemment intégrée par l’Europe à ce cahier des charges, applicable à partir de 2017. Mais la spiruline n’est ni une algue, ni marine  et ce cahier des charges n’est pas du tout adapté au cas très particulier de la spiruline. Ce cahier des charges est réduit à son strict minimum, n’encadre pas les méthodes de culture et de séchage (le séchage à haute température est autorisé) et ne garantit nullement la qualité nutritionnelle du produit final. Mais il peut être d’ores et déjà adopté par des fermes de spiruline en Europe.

Cahier des charges bio AB développé par la Fédération des Spiruliniers de France

Il impose une source d’azote d’origine organique et l’utilisation d’engrais autorisés en bio. Les températures de séchage doivent être raisonnables (maxi 60 °), les conditions de culture sont encadrées et il ne doit pas y avoir de rejets d’effluents en milieu naturel.

Ce cahier des charges, qui avait vocation à devenir la référence européenne pour la culture bio de spiruline, a été initié en 2012 par la FSF, en collaboration avec la FNAB (Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique). Déposé à l’INAO (Institut National de l’Origine et de la Qualité) en 2015, il était en cours de validation en 2016 quand la décision de l’Europe de rattacher la spiruline au cahier des charges européen « algues marines » l’a rendu caduc.

La FSF n’a pas baissé les bras et espère pouvoir le faire adopter au niveau européen. Mais, il faudra au minimum 2 à 3 ans pour y parvenir, en suivant les méandres administratifs de la réglementation européenne.

Cahier des charges Nature & Progrès (N&P)

C’est aussi en 2012 qu’une petite association dénommée Spiruline et Progrès, regroupant quelques producteurs français, a travaillé avec N&P à l’élaboration d’un cahier des charges spiruline. En octobre 2017, il a été adopté au niveau national par N&P. En 2018, devraient être organisées les premières visites de fermes afin d’évaluer la faisabilité et la pertinence de ce cahier des charges.

Cette approche N&P, plus exigeante que celle de la FSF, insiste sur la nécessité de fabriquer à la ferme une partie des engrais utilisés, l’obligation d’un bilan énergétique raisonnable et ne pourra concerner que des petites structures de production.

Cahier des charges privé ECOCERT « spiruline écologique »

Un cahier des charges Ecocert « spiruline biologique» est actuellement utilisé par 2 fermes, en Amérique du sud et en France. Il pose le problème de sa dénomination qui entretient la confusion « Ecocert = bio » auprès des consommateurs. Les producteurs concernés ne sont pas obligés de divulguer leur processus de culture: ils utilisent de l’azote organique, certes, mais produite comment ? Impossible de le savoir, par exemple, pour la ferme d’Amérique du Sud.

La spiruline bio aujourd’hui

Le marché mondial de la spiruline est en augmentation constante. Il suscite, en France et ailleurs, l’intérêt de grands groupes agro-alimentaires ou industriels. Pour répondre à l’attente des consommateurs, ils se positionnent actuellement sur le créneau du bio, en s’appuyant sur le cahier des charges minimaliste « algues marines » et sur de grandes surfaces de production. Une ferme, lancée en Bretagne cette année, annonce 30 tonnes de production annuelle (autant que les 120 producteurs français aujourd’hui!).

On trouve depuis longtemps en Europe de la spiruline bio d’importation. Grâce au régime des équivalences, la spiruline produite à l’étranger est estampillée bio même si le cahier des charges du pays de production a des exigences bien moindres que les normes européennes. Pour ajouter à la confusion, une spiruline produite à l’étranger peut être vendue comme « fabriquée en France », sans mention du pays de production, si elle a été transformée en France (poudre, comprimés, ampoules).

En attendant que la FSF puisse faire valoir ses exigences au niveau européen par le biais de son cahier des charges spécialement dédié à la spiruline, les petits producteurs français auront toujours la possibilité de se conformer au cahier des charges N&P. Mais il n’est pas sûr qu’il y ait beaucoup de candidats, vu les efforts supplémentaires à mettre en œuvre : charge de travail plus importante (fabrication d’engrais à la ferme), réglementation (traçabilité des intrants), investissements à prévoir pour aller vers une autonomie énergétique, etc …

Il faut rappeler un élément important : une certification bio n’implique aucune notion de qualité, seule la méthode de production est concernée. La filière française produit déjà une spiruline de qualité (comme l’atteste le tout récent rapport de l’ANSES) et partage les valeurs fondamentales de l’agriculture biologique : valeurs humaines (partage et mutualisation des connaissances, aide Nord-Sud), environnementales (hauts rendements nutritionnels, faible bilan énergétique, saisonnalité, pas d’usage de produits phytosanitaires, pas de rejets en milieu naturel) et économiques (petites fermes, circuits courts…).

Pour respecter l’esprit du bio, il ne reste donc à régler que le problème des engrais azotés. Des alternatives sérieuses se font jour, qu’il reste à tester grandeur nature sur plusieurs fermes, pour être en mesure de proposer de la spiruline bio de qualité.

Vous pouvez aussi consulter le communiqué de la Fédération des spiruliniers de France sur la question :
http://www.spiruliniersdefrance.fr/spip.php?article558